L'histoire des ouvriers en l'an 2000. Bilan et perspectives

(Arbeitergeschichte im Jahr 2000. Bilanz und Perspektiven)

Cet article sélève contre la vision dominante des sciences historiques et contre celle du public qui voudraient que l’histoire des ouvriers fût vieillie et constituât un champ thématique dépassé. En fait, durant les deux dernières décennies, à travers l’histoire ouvrière se sont dégagées des orientations thématiques et méthodologiques importantes sur lesquelles on pourra construire dans le futur, en connaissance de cause. Tout d’abord, « l’unité » de l’histoire des ouvriers dans une optique marxiste simpliste na pas tenu dans la durée et ce fait est plus une libération qu’une perte. La diversité et la spécialisation croissantes de la recherche en histoire ouvrière ont pourtant conduit à deux situations problématiques, qui doivent être surmontées de manière constructive si l’on veut donner à ce champ un élan et une place dans le débat public. D’une part, cette diversité a favorisé un isolement hostile à toute discussion. D’autre part, le champ est miné par des positions de principe opposées touchant les théories de la connaissance et les méthodologies. Dans ce contexte, le dialogue entre histoire sociale et culturelle ou entre histoire des acteurs et des systèmes n’est pas seulement devenu possible mais absolument nécessaire. Comme porte de sortie en faveur d’un redéploiement continu et constructif de l’histoire ouvrière, cet essai invite en premier à faire le lien entre histoire des « actions » et histoire des « structures » à travers la notion de « pratiques sociales ». En second lieu, il demande de recenser au travers de typologies les manières complexes dont se sont construites historiquement et se sont côtoyées les différentes identités ouvrières. Troisièmement, il faut accorder une attention sociologique et ethnologique aux processus de formation communautaire et de socialisation, et il faut partir des acteurs, sans exclure leur cadre social. Quatrièmement, la contribution revendique une « modernisation » fondamentale, mais aussi le maintien d’une compréhension de classe analytique, pour que soit appréhendée la spécificité systémique de l’inégalité sociale au sein de la modernité. Cinquièmement et finalement, il plaide pour une perspective institutionnelle des champs daction caractéristiques des sociétés capitalistes: les entreprises dans leur environnement marchand, les sphères organisationnelles et politiques ainsi que les modes de vie extérieurs à l’entreprise. L’avenir devrait appartenir alors à une histoire des travailleurs fortement historicisée, procédant par typologie, largement comparative, coopérant avec la sociologie, l’anthropologie culturelle et une économie à nouveau orientée historico-institutionnellement.

(Traduction: Frédéric Sardet)

Erschienen in: traverse 2000/2, S. 15