La crise des lieux de mémoire et les avaries de la politique du souvenir. A propos de la mémoire collective et du rôle de la Suisse pendant la seconde guerre mondiale

(Die Krise der Gedächtnisorte und die Havarie der Erinnerungspolitik. Zur Diskussion um das kollektive Gedächtnis und die Rolle der Schweiz während des Zweiten Weltkriegs)

Cet article examine le concept de lieux de mémoire, tel qu’il a été propose par Pierre Nora et entre-temps critique au regard du nombre croissant de cérémonies commémoratives et de manifestations du souvenir. La tentative d’étudier historiquement les mutations des formes de la mémoire collective montre clairement que la dichotomie entre histoire et mémoire est apparue surtout dans le contexte de l’Etat national. De nouvelles formes de communication ainsi qu’un intérêt croissant pour les identités hybrides favorisent aujourd’hui le passage vers les non-lieux de mémoire, en tant que forme du souvenir qui n’est plus ancrée territorialement et contrôlée par l’Etat national. La thèse de Maurice Halbwachs, selon laquelle la mémoire collective dépend de la permanence des conditions sociales où elle s’est développée, nous conduit à poser la question suivante: comment des expériences traumatisantes et singulières, telles que les vécurent les survivants de la persécution et de l’extermination dans l’Allemagne nationale-socialiste, peuvent-elles prendre place dans une interprétation historique? Cette expérience, qui se situe aux limites de la comprehension rationnelle, montre clairement que tant l’historiographie traditionelle que la memoire collective sont incapables de traiter ces temoignages d’une maniere adéquate. La deuxième partie de l’article prend comme exemple la Suisse. Le massif du Gothard, en tant que lieu de mémoire, est lie étroitement non seulement à la Défense nationale spirituelle des années ’30, mais aussi à l’anticommunisme de l’après-guerre. La mémoire collective s’est révélée particulièrement résistante face aux attaques de la science historique. Seul le débat, ne de la pression extérieure, sur le rôle du petit Etat neutre pendant la Seconde Guerre mondiale a remis en question la fiction de la « splendide isolation », telle qu’elle était ancrée dans la conscience historique helvétique. L’érosion dans les esprits de l’idée du Réduit constitue aujourd’hui une chance pour entamer un dialogue productif entre critique historique et souvenir collectif. En Suisse, l’identité nationale ne procède pas simplement d’une identification émotionnelle et spontanée « Sonderfall »; la vision du passe fut profondément influencée par l’« identity politics » et la gestion du souvenir. En montrant cela, notre conscience-le « nous » peut-être confrontée à des interrogations et même remise en question. Inversement, la science historique devrait être plus consciente que par le passe de son ancrage dans les traditions de la mémoire et réfléchir aux possibilités de trouver une place pour le singulier, l’évènementiel, les contingences, et ce ci au-delà des explications générales.

(Traduction: Chantal Lafontant)

Erschienen in: traverse 1999/1, S. 16