Les diligences postale 1850-1920: une approche fonctionnaliste

(Eine funktionale Bestandsaufnahme der Pferdepost, 1850-1920)

Dans l’histoire des moyens de communication du 19e siècle, le trafic routier en général et le service des diligences postales en particulier occupent une place marginale en regard de celle des chemins de fer. Cette contribution se propose de mettre en lumière le rôle des diligences postales souvent peintes sous les couleurs les plus romantiques dans une perspective fonctionnaliste.
Par opposition au topos de la « révolution des transports » axé sur l’avènement du chemin de fer, le développement du trafic est compris ici comme un processus d’expansion spatiale) dun réseau, qui tient compte de tous les moyens de transport existants; on pourrait parler en l’occurrence d’une « évolution des transports ». Le fait que le service des diligences de la poste ait atteint son apogée en matière de volume et de capacité du trafic des voyageurs en 1912 seulement confirme, si nécessaire, la pertinence d’une telle approche. La diligence ne fut pas « supplantée » par le chemin de fer, comme on a souvent tendance à le dire, mais bien plutôt contrainte à une adaptation fonctionnelle permanente.
Avec le commencement de la construction des routes artificielles, les diligences devinrent le principal moyen de transport pour les trafics de proximité et de longue distance; elles le demeurèrent jusquen 1848. Les politiques ambitieuses poursuivies par les cantons en matière postale renforcèrent cette tendance. Etant donné la prédominance du secteur agricole, la mobilité demeura, il est vrai, très restreinte. Elle se limitait pour l’essentiel à des déplacements individuels occasionnels. Dans un premier temps, le chemin de fer ne modifia que très peu cet état de fait. En 1870 encore, la poste transporta quelque 1,1 millions de voyageurs, ce qui représentait un volume respectable face aux 11 millions des chemins de fer. A l’instar de ces derniers, les diligences assuraient une « fonction centrale » : elles enregistraient des fréquences particulièrement élevées là où étaient concentrées les activités industrielles et tertiaires. Le trafic ne fut couplé aux fonctions du travail, de l’approvisionnement et des loisirs qu’à partir des années 1880, dans le sillage des changements structurels que traversait la Suisse en voie de devenir une société industrielle et urbaine de type moderne. Ce processus contribua au développement du chemin de fer qui devint moyen de transport de masse. En 1910, le rail transporta 240 millions de voyageurs alors que la poste n’en véhicula que 2 millions, soit une part quasiment négligeable.
Cette « insignifiance » statistique apparente de 1910 se trouve néanmoins relativisée lorsqu’on prend en considération les aspects spatiaux du développement des services postaux. En effet, ces derniers continuèrent à remplir d’importantes fonctions à l’échelle locale et, partiellement, régionale dans un certain nombre de cas de figure. Cela fut vrai en premier lieu pour des régions touristiques, comme les Grisons par exemple, ou pour les petits centres des régions rurales; ils demeurèrent également importants pour les régions ayant une forte industrie à domicile. De même, certaines villes situées dans des régions rurales et ne disposant que dun réseau ferroviaire (tram et train) peu développé enregistrèrent, en 1910 toujours, des fréquences de pointe dans les transports par diligence. A linverse, ces derniers connurent un recul significatif dans les agglomérations urbaines bien desservies par le rail, comme à Zurich, Genève ou Bâle. Les développements très différents voire contradictoires enregistrés selon les régions impliquent la prise en considération des contextes structuraux respectifs. Les diligences purent occuper des niches particulières (comme le trafic touristique alpin) ou la desserte des régions avec industrie à domicile; elles purent également jouer un rôle complémentaire en assurant l’accès aux gares. Il convient par ailleurs de rendre attentif à un aspect fréquemment oublié: les diligences ne transportaient pas seulement des voyageurs mais aussi et surtout la poste. A partir de 1850, elles jouèrent un rôle essentiel en tant qu’ultime maillon du système de communication (journaux, lettres, télégrammes, etc.) alors en pleine croissance. De ce fait, les postes développèrent continuellement leur réseau, et ce même durant les phases de stagnation ou de régression du trafic de voyageurs. A partir des années 1890, le principal problème des diligences résida dans le fait quelles étaient extrêmement coûteuses quant à leur capacité de transport. L’augmentation constante des frais était imputable aux hausses des salaires et des prix, ainsi qu’aux efforts entrepris en vue de rendre l’offre plus attractive (meilleures fréquences, augmentation du parc des chevaux, réduction des prix). Le transfert de la traction hippomobile vers l’automobile ne s’effectua à proprement parler qu’au moment de la crise de la Première Guerre mondiale.
Le réseau des diligences commença à se dissoudre par lui-même du fait de la baisse du nombre des voyageurs et de la hausse concomitante du prix des aliments pour bétail. En même temps, la sécurité des véhicules utilitaires fut considérablement accrue.

(Traduction: Thomas Busset)

Erschienen in: traverse 1999/2, S. 89