Entre la contrainte et l'intérêt propre. Le Komintern des années 30, un système de pouvoir et un horizon culturel

(Zwischen Zwang und Eigeninteresse. Die Komintern der dreissiger Jahre als Machtsystem und Sinnhorizont)

La loyauté des militantes et militants communistes d’Europe occidentale à l’égard du Komintern pendant les années 1930 s’avère étonnamment grande, bien que militer dans une Organisation communiste exigeait un grand engagement et une énorme abnégation. La discipline au moment des «épurations» en Union Soviétique et du Pacte germano-soviétique est particulièrement évidente. Elle est ici interprétée comme l’expression d’un processus parachève de soumission des sections à la centrale du Komintern. Le présent article traite de la question des conditions qui déterminent cette attitude. Pour aborder cette question, Pauteure conceptualise le Komintern en tant que Système global, en tant que forme d’existence. Les mécanismes de pouvoir à l’intérieur de ce Système peuvent être montres en mettant en évidence les liens unissant les militants des partis communistes au Komintern et à l’Union Soviétique.
Ces liens peuvent être distingues, selon le modèle suivant, à quatre niveaux:
– les liens politiques, par les objectifs que partageaient (en tout cas, au début) le Komintern et les partis communistes;
– les liens structurels, par une Organisation unifiée et centralisée; – les liens personnels, par les nombreux contacts individuels (le Komintern en tant qu’employeur; les relations personnelles);
– les liens culturels, par l’intégration des communistes à un Système global, à une «micro-société» qui imprègne la vie quotidienne.
La recherche historique est ici centrée sur deux aspects qui peuvent être presentés comme autant de facteurs de dépendance des communistes occidentaux: premièrement des facteurs structurels et organisationnels, deuxièmement ceux qui relèvent de la psychologie et du mode de vie.
L’auteure analyse en premier lieu la modification de la répartition des pouvoirs entre le «centre» installe à Moscou et la périphérie située en Europe occidentale en prenant notamment comme exemple le parti communiste suisse. II s’avère que les instruments importants aux mains du Comite exécutif sont avant tout le droit de disposer des finances, de même que la sélection des cadres, la politique d’information, le contrôle de la presse et la formation de la jeune génération; à cela s’ajoutent une Situation initiale et géographique à l’avantage des Russes et des phénomènes plus généraux tels que le processus de centralisation et de bureaucratisation dans le Komintern.
Cependant, il serait historiquement unilatéral de considérer les communistes d’Europe occidentale (et dans l’exemple choisi ici Celles et ceux de Suisse) comme des marionnettes sans volonté actionnées par Pappareil de pouvoir du Komintern. Il existe certes une asymétrie évidente entre le Komintern et ses sections, mais les directions (et les membres) des partis communistes approuvaient – pour des raisons d’efficacité – la plupart des mesures de centralisation. Le pouvoir de décision de la centrale du Komintern était consideré comme absolument légitime.
En second lieu, cette conjonction étroite au niveau idéologique, politique et organisationnel correspondait à bien des égards aux besoins des communistes. Dans cet environnement, ces derniers étaient conditionnes non seulement politiquement, mais aussi socialement, intellectuellement et psychologiquement. Ce cadre rigide fournissait aux communistes pendant l’entre-deux-guerres une représentation du monde qui leur était spécifique, à laquelle ils pouvaient s’identifier, dont les valeurs et les notions alléguées leur épargnaient de nombreuses décisions qu’autrement l’homme «libre et éclairé» prend tout seul. Dans ce sens, on peut comprendre l’affiliation à une Organisation communiste non seulement comme un engagement idéal, mais aussi comme une tentative d’échapper aux conditions d’existences atomisées de l’individu moderne, tentative entreprise au moyen de la construction d’un environnement reproduisant, par bien des aspects, les structures d’une société traditionnelle.

Erschienen in: traverse 1995/3, S. 46