Création d'emplois, paix sociale et entretiens des monuments. Le « centime du travail » (1936-1984)

(Arbeitsbeschaffung, sozialer Frieden und Denkmalpflege. Der Basler Arbeitsrappen (1936-1984))

Depuis les années cinquante pour le moins, le « centime du travail » («Arbeitsrappen») jouit d’une bonne réputation dans l’opinion publique bâloise. Des dizaines d’articles de journaux rapportent régulièrement et de manière identique l’histoire couronnée de succès de cette institution fondée en 1936 dans le but de créer des emplois. Pourquoi a-t-on garde à Bâle un si bon souvenir, et ceci pendant des décennies, d’un programme mis en place au moment de la crise économique mondiale des années 1930, alors que dans d’autres lieux des mesures contemporaines sont tombées dans l’oubli depuis longtemps?
Face au taux élevé du chômage, le gouvernement du canton de Bâle, à majorité social-démocrate depuis 1935, ne pouvait pas rester inactif. Mais les caisses de l’Etat etaient vides et les investisseurs témoignaient peu d’intérêt pour les emprunts cantonaux, devant la menace d’une dévaluation imminente du franc.
Désemparé, le gouvernement fit appel au professeur d’économie Edgar Salin. Ce dernier parvint, en dehors des structures étatiques, à rallier les représentants syndicaux et patronaux à son programme du « centime du travail ».
Ce programme prévoyait un emprunt d’au moins huit millions de francs dans le but de créer des emplois. Pour rassurer les investisseurs réticents, il devait être amorti à l’aide d’un impôt spécial fixé à un pour-cent – le « centime du travail » – perçu pendant dix ans sur chaque travail remunéré. Ces huit millions de francs devaient permettre de mettre rapidement en place un programme de construction.
Afin de rallier les syndicats à cet impôt special, qui n’était pas progressif et touchait le plus durement les bas salaires, on admit comme condition nécessaire, et sans laquelle le programme du « centime du travail » ne pouvait pas entrer en vigueur, le prolongement de dix ans des contrats de travail collectifs dans la construction et les petites entreprises de la métallurgie. Les auteurs du projet exigeaient des autorités politiques l’adoption de leur programme sans modification. Ils réussirent à imposer leur projet, sauf sur un point: le Conseil d’Etat exonéra les revenus annuels de moins de 1’500 francs. Lors des votations, la loi sur le « centime du travail » fut acceptée de justesse, en dépit de son rejet dans les quartiers ouvriers.
Lorsque le programme du « centime du travail » entra en vigueur en octobre 1936, il se révéla inutile, car les emprunts cantonaux, suite à la dévaluation du franc, trouvaient à nouveau suffisamment de preneurs. Par ailleurs, les projets de construction avances étaient rares, de sorte qu’il n’était pas possible d’investir immédiatement huit millions de francs, comme la loi le prévoyait. Si l’on confronte les recettes avec les dépenses, on constate qu’environ trois quarts de l’emprunt, dont les intérêts étaient relativement élevés, n’ont jamais été utilises. Le chômage ne diminua pas plus rapidement à Bâle que dans le reste de la Suisse. Des lors, on ne peut guère parier d’une politique de « déficit spending », car les comptes auraient boucle sur des soldes positifs en 1940 déjà si les intérêts de l’emprunt n’avaient pas du être payes. Dans le cadre du programme du « centime du travail », on dépensa globalement moins d’argent que l’on n’en encaissa durant les années difficiles de 1936 à 1946.
Bien que la création d’emplois à Bâle ne fût pas supérieure à celle relevée ailleurs dans le pays – du moins au regard de la diminution du taux de chômage – le programme du « centime du travail » présentait deux avantages que mettront en évidence les jugements postérieurs. D’une part, la Prolongation des contrats de travail collectifs dans d’importantes branches, et ceci encore avant la Convention de paix dans l’industrie des machines, a assure pendant dix ans la paix absolue du travail. Le programme contribua ainsi à consolider le rapprochement des partenaires qui conclurent les contrats, rapprochement particulièrement apprécié durant l’après-guerre. D’autre part, en raison du faible nombre d’emplois créés, il subsistait, au lendemain de la guerre, un fonds de seize millions de francs. En période de haute conjoncture, cette somme utilisée de maniéré procyclique a permis de subventionner des travaux d’assainissement de la vieille ville de Bâle ainsi que la restauration de bâtiments historiques. L’objectif, à l’origine socio-politique, s’est transforme en politique d’entretien des monuments, jusqu’à ce que la loi sur la protection des monuments remplace le «centime du travail».

(Traduction: Marc Schmid)

Erschienen in: traverse 1996/2, S. 63