Le mariage des hommes. L'uniformisation en tant que caractère sexuel masculin lors du « Tournoi de l'arbre d'or » à Bruges en 1468

(Die Hoch-Zeit der Männer. Uniformierung als männlicher Geschlechtscharakter im «Tournoi de l'arbre d'or»)

Les tournois du Moyen Âge n’ont guère été étudiés comme des lieux de constructions sociales du masculin. En prenant lexemple du tournoi de « l’arbre d’or » organisé à Bruges en 1468, à loccasion des noces de Charles le Téméraire et de Marguerite d’York, la présente contribution s’attache à décrire le rôle du masculin dans la société de cour. Le masculin est ici compris comme une catégorie symbolique, liée aux lieux, aux instances et aux institutions de l’exercice du pouvoir dans la société. La société de cour bourguignonne se prête tout particulièrement à une étude de tels systèmes d’ordre symbolique, car elle les utilise pour représenter sa conception du pouvoir et de sa puissance. Dans ses ordonnances de cour, Charles le Téméraire renforce la sacralisation de la figure du pouvoir par des mesures disciplinaires et de distanciation à l’égard des membres de la cour; ces mesures s’expriment à travers un cérémonial, contrôlé par la société de cour grâce à sa puissance symbolique. La visualisation des rapports de pouvoir devient ainsi une caractéristique de la culture de cour bourguignonne; elle s’exprime d’un côté par la représentation topographique de la hiérarchie par exemple, Charles augmente le nombre d’antichambres qu’il faut traverser pour obtenir une audience avec le duc; elle se manifeste de l’autre par l’utilisation concentrée d’emblèmes visuels du pouvoir, tels que les blasons, les devises et les livrées. Ce désir d’uniformisation visuelle trouve son expression la plus manifeste dans les ordonnances militaires édictées par Charles, qui visent pour la première fois dans l’histoire militaire européenne à organiser une armée avec des insignes de reconnaissance hiérarchisés jusque dans le détail.
On retrouve des mécanismes identiques au mariage de Bruges en 1468, où la fête communautaire devient l’image d’une société de cour disciplinée, uniformisée et militarisée. En examinant la langue visuelle utilisée lors de la fête, la présente contribution tente de montrer que les rapports de pouvoir sont mis en scène suivant un système d’interprétation sexuel. Lanalyse met en évidence trois aspects de la fête: dans une première partie, elle montre que le mariage devient une métaphore de l’occupation de l’espace urbain « féminin » par la cour « masculine ». À cet effet, dix « images vivantes » sont mises en place et présentées à la mariée, Marguerite d’York, lors de son passage dans les rues de la ville; ces images illustrent le mariage à l’aide de métaphores guerrières et violentes du siège, de la conquête et de l’occupation territoriale d’une ville par le « dominus ». Par ailleurs, l’aménagement de l’espace réservé au tournoi sur la place du marché met en évidence la transformation du centre urbain en un centre destiné à la cour. Une deuxième partie de l’article montre de quelle manière la symbolique de « l’arbre doré » qui est à la base du tournoi, édifie le centre de la cour en domaine de pouvoir masculin, contribuant ainsi à faire du duc l’incarnation du masculin. L’objectif du tournoi est détendre la renommée des Bourguignons en organisant des duels entre ses participants. Le symbole visuel de cette renommée élargie sont les 24 blasons des combattants, qui durant le tournoi sont suspendus à un sapin (épicéa) doré, dressé sur la place du marché en guise d’« arbre doré ». L’arbre et les blasons deviennent ainsi des lieux de mémoire et des points de collecte d’une production de la gloire, dont les résultats sont attribués uniquement aux actes des combattants masculins. L’image d’une gloire immortelle et suprapersonnelle concentrée dans des symboles comme les blasons renvoie au « mythe de la reproduction masculine » selon lequel des traditions culturelles et idéales sont transmises à travers de simples « généalogies masculines ». Dans la troisième et dernière partie de l’article, l’auteur met en évidence l’omniprésence de la symbolique masculine, non seulement au cours du tournoi, mais aussi lors de la fête, par l’intermédiaire des blasons, des livrées et des devises du duc. Ces signes distinctifs apparaissent sous la forme de vêtements uniformisants et ceux qui les portent montrent ainsi de manière visible leur état de dépendance. La puissance symbolique prend ainsi possession des participants de la fête qui deviennent une partie du corps souverain masculin, tout en leur permettant de prendre part au pouvoir exercé par le duc.

(Traduction: Chantal Lafontant)

Erschienen in: traverse 1998/1, S. 57