La formation du cadre stalinien par la «Critique et l'autocritique»

(Die Konstituierung des stalinistischen Kaders in «Kritik und Selbstkritik»)

Le monde du stalinisme était caractérisé par une conception «totale» de la vie. II reposait sur un Système de valeurs fixe qui englobait l’être humain dans son ensemble, autant dans le domaine du «prive» que du «public». Cette contribution, basée principalement sur des matériaux en provenance des archives du Komintern à Moscou, tente une approche de ce monde à travers le rituel de «critique et d’autocritique» publique. Elle analyse le sens que prend ce dernier pour la conception de l’homme dans le stalinisme et dans la formation du cadre politique. Pour le projet de créer un homme nouveau, «véritablement bolchevique», comme pour le mécanisme de la terreur des années trente, ce rituel jouait un rôle de premier plan. II est ainsi significatif pour plusieurs strates du phénomène stalinien. La contribution étudie le rituel de «critique et d’autocritique», lié aux «purges» du parti, dans le cadre du Komintern des années trente. Elle prend en considération plusieurs niveaux du phénomène et parvient aux conclusions suivantes.
Comme instrument de formation des cadres, le rituel de «critique et d’autocritique» était un rituel de purification des restes bourgeois et individualistes de la personnalité, de même que des comportements indignes d’un membre du parti.
En tant que moyen de disciplinarisation et de contrôle social, le rituel de «critique et d’autocritique» appartient aux comportements spécifiques de la société soviétique. II permet à l’individu de se positionner socialement tout en s’adaptant aux normes dominantes.
En tant que moyen de destruction, le rituel de «critique et d’autocritique» fait partie du Système de terreur stalinien. Son analyse nous fait comprendre les structures subtiles de la répression. La terreur se reproduit sous forme de «critique et d’autocritique» dans les rapports entre les cadres eux-mêmes. Dans le rituel de «critique et d’autocritique» se cristallise un rapport singulier entre «prive» et «public». En Union soviétique, le «prive» est public et le cadre n’a pas de vie privée. L’autocritique publique devient ainsi un catalyseur de la différence entre mentalités «occidentales» et russes, qui se rencontrent dans le Komintern sous le couvert d’une culture stalinienne universelle. En tant que forme de confession publique, l’autocritique représente le geste de soumission quotidien à la «vérité du parti», exige du cadre stalinien. Enfin, l’autocritique publique est une technique de manipulation de l’individu qui fonctionne grâce au sentiment de culpabilité de tout un chacun; elle modifie la personnalité. En cela, elle s’apparente aux techniques psychologiques de certaines sectes contemporaines.

Erschienen in: traverse 1995/3, S. 71