Le monde « non juif » perçu par la minorité juive: souvenirs de juifs et juives de Lodz

(Die nichtjüdische Welt in den Augen der jüdischen Minderheit. Lodzer Juden und Jüdinnen erinnern sich)

L’auteur analyse la vision du monde « non juif » conçue par les Juifs, en prenant appui sur des interviews de Juifs et Juives qui vécurent à Lodz, ville industrielle polonaise, avant l’extermination de leur communauté par les nationaux-socialistes
allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale. A l’aube de la guerre, quelque 350 000 Polonais, 200 000 Juifs et 60 000 Allemands vivaient à Lodz.
L’égalité des droits ne fut reconnue à la communauté juive qu’au lendemain de l’indépendance de la Pologne en 1918. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le pouvoir russe avait fortement discriminé les Juifs. Sous la République polonaise, la vie juive avait pu se développer librement. Avec l’école obligatoire, la jeune génération s’était plus facilement adaptée à la culture polonaise. Toutefois, la « polonisation » des Juifs au niveau linguistique et culturel ne rapprocha guère les communautés juive et polonaise. La première gardait ses distances à l’égard des habitants catholiques, car les pratiques sociales de la majorité de la société polonaise continuaient à discriminer, voire à chercher querelle aux Juifs.
Les couches supérieures juives avaient de bonnes relations avec la minorité allemande et protestante qui constituait, sous la domination russe, l’élite sociale et économique de la ville. Pour de nombreux Juifs, la culture allemande, en particulier le judaïsme allemand, avait une valeur exemplaire. Bien que toutes les personnes interrogées eussent subi la politique d’extermination juive menée par les nationaux-socialistes, celles-ci ne modifièrent guère leur opinion positive sur les Allemands de Lodz et sur la culture allemande. La plupart s’exprimèrent en revanche négativement sur les Polonais de Lodz.
Nombreuses sont celles qui évoquèrent alors les tracasseries quotidiennes et les menaces proférées par les Polonais à leur encontre. Elles considéraient ces comportements propres à la « nature » même de ce peuple. Par contre, la culture polonaise revêtait à leurs yeux un caractère plutôt positif. Toutes les personnes questionnées estimèrent que la connaissance dun monde « non juif » était une expérience enrichissante pour les jeunes Juifs qui apprirent la langue polonaise.
En dépit des expériences douloureuses communes, elles percevaient les «Allemands » et la « culture allemande » comme un tout, alors quelles établissaient une profonde distinction entre le peuple polonais « primitif » et la « riche » culture polonaise.

(Traduction: Chantal Lafontant)

Erschienen in: traverse 1996/1, S. 77