Différence de perception de l'intégration européene entre la Suisse romande er la Suisse allemande

(Die Unterschiede in der Perzeption der europäischen Integration zwischen der Deutschschweiz und der Romandie)

En raison du clivage entre Suisse allemande et Suisse romande, l’issue de la votation sur l’Espace economique europeen (EEE) du 6 decembre 1992 a ete largement ressentie comme un choc. Ce qui apparaissait comme particulierement grave, c’est que ce clivage ne portait pas sur un sujet d’importance mineure, mais sur le plus ambitieux projet de politique exterieure jamais soumis ä votation, qui aurait eu des repercussions dans de nombreux domaines de la societe et de l’economie. Ce clivage n’est cependant pas apparu de maniere inattendue. Depuis de nombreuses annees, l’adhesion à la Communaute ou à l’Union européenne rencontre 15 à 20% de plus d’approbation chez les Romands que chez les Alémaniques.
La presente contribution se propose d’analyser les raisons de cette difference entre les attitudes romande et alemanique ä l’egard de l’integration europeenne. Les differentes perceptions de cette integration europeenne sont examinees en prenant en compte les experiences historiques des deux regions linguistiques, les affinites culturelles, les valeurs politiques generales et d’autres aspects de la politique interieure, ainsi que l’influence de la langue en tant que «Weltanschauung» sur le discours politique.
S’il n’y a pas d’approche qui pourrait, ä eile seule, expliquer l’ensemble des attitudes observees, un premier examen critique permet neanmoins de differencier la valeur explicative des differentes approches. A propos des vecus historiques susceptibles d’influencer la perception de l’integration europeenne, c’est notamment l’experience de la Seconde Guerre qui parait continuer ä exercer une influence non negligeable. La defense spirituelle et la menace allemande ont provoque un repli aussi bien politique que culturel en Suisse allemande. Ces effets se fönt sentir aujourd’hui surtout dans le domaine des affinites culturelles avec l’Allemagne, marquees par une certaine crainte de se faire dominer, ce qui n’est pas sans influence sur l’attitude à l’egard de l’integration europeenne. La defense spirituelle ayant ete dirigee avant tout contre l’Allemagne et la France n’ayant pas represente de menace pour l’integrite territoriale, ni les affinites culturelles avec la France ni la perception de l’integration europeenne n’ont ete marquees par les repercussions de cette periode en Suisse romande.
Concernant les valeurs politiques fondamentales, on ne peut pas constater de grandes differences entre Romands et Alemaniques. Les deux communautes linguistiques accordent une importance tres grande ä la democratie, notamment sous forme de la democratie directe. Les Alemaniques accordent cependant legerement plus d’importance ä la neutralite et ä l’independance. L’ouverture sur le monde en general est une attitude legerement plus developpee chez les Romands, mais dans une mesure tres limitee. En analysant les resultats de votations sur des projets relevant des rapports de la Suisse avec l’etranger, on constate que les Alémaniques ne sont pas de maniere generale plus reticents. Ils le sont surtout quand la politique etrangere prend des formes institutionnalisees, purement politiques ou meme militaires. Ils sont par contre tres ouverts quant il s’agit de questions materielles des relations avec l’etranger. A cet egard, on peut constater une grande continuite depuis le siecle passe. Si les experiences historiques et les affinites culturelles ont une puissance explicative considerable à l’egard des perceptions alemaniques, il apparait que les perceptions romandes soient tres influencees par la Situation minoritaire ä l’interieur de la Suisse. Celle-ci s’est traduite surtout ä partir de la creation de l’Etat federal par un reflexe anti-centraliste en Suisse romande, reflexe dirige contre la Beme federale et, comme le montre l’analyse des votations, tres ancre encore de nos jours dans la population romande. Dans ce contexte, Braxelles peut etre percue en Suisse romande comme une alternative ä Berne. Braxelles presente les avantages de l’affinite culturelle francophone et l’absence d’une majorite dominante: dans l’Union europeenne, chaque pays et chaque region linguistique est en minorite. De plus, le debat tres intense dans l’Union europeenne et dans ses pays membres sur la decentralisation, la subsidiarite et «l’Europe des regions» correspond parfaitement à la sensibilite anti-centraliste de la Suisse romande.
Un autre element non negligeable est l’influence de la langue sur le discours politique. A cet egard, le francais est une langue caracterisee par des espaces geographiques vastes et un certain centralisme, compare ä l’allemand beaucoup plus morcele. Ceci explique une certaine preference pour les grands debats d’idees et pour l’abstrait dans les cultures politiques francophones. C’est ainsi que le discours politique sur l’integration en Suisse romande etait marque par une attitude fondamentale positive et ideelle, largement absente en Suisse allemande. Quant aux consequences politiques et materielles concretes par contre, les Romands ont exprime dans les sondages la meme appreciation – souvent negative – que les Alémaniques. Le niveau de connaissances plus faib’le ainsi que la proportion beaucoup plus forte d’indecis par rapport aux consequences concretes peuvent egalement etre expliques par le degre d’abstraction plus eleve du discours politique en Suisse romande.
Puisque l’europeanisation et l’internationalisation de la politique est inevitable et correspond à une tendance au niveau mondial, une politique etrangere plus intense et active devra etre developpee en Suisse. Mais dans ce processus, une attention particuliere devra etre donnee aux aspects relevant de la politique interieure. Les differences de sensibilite et de perception entre Suisse romande et Suisse alémanique en representent un aspect important.

Erschienen in: traverse 1994/3, S. 40