Gérer la guerre contre-insurrectionnelle durant le conflit du Vietnam

(Die Wissensformierung der «counterinsurgency» im Vietnamkrieg)

La conduite de la guerre au Vietnam par les Etats-Unis est largement caractérisée par le recours au management technocratique, qui n’intervenait pas seulement dans le contexte des opérations militaires, mais aussi dans la lutte contre-insurrectionnelle, par la mobilisation de mesures tant économiques que politiques. Le problème de la counterinsurgency ouvrit dès lors non seulement de nouveaux théâtres d’opérations, mais aussi un nouveau champ de connaissance. Quatre problématiques centrales nécessitèrent de mobiliser des méthodes, des concepts clés et des dilemmes de la production du savoir dans le combat contre-insurrectionnel. L’éclatement du pays et du conflit posa la question de savoir comment il était possible de mesurer les progrès de la lutte contre-insurrectionnelle. Un coûteux processus administratif d’évaluation fut proposé, qui nécessitait la mesure régulière des facteurs de sécurité et de développement pour chaque entité administrative. La critique de ce processus, soit savoir si un progrès politique est mesurable de cette façon, conduisit au problème d’établir quels étaient les buts et avec quels moyens une telle lutte pour le soutien politique devait être menée. Ce problème fut principalement étudié par le biais de jeux reposant sur des théories de la modernisation et des comportements particuliers. Le développement des différentes mesures et l’évaluation se trouvèrent alors dans un processus circulaire, au sein duquel il devint par exemple peu clair de déterminer si le développement économique conduisait bel et bien aux conséquences politiques attendues. Un troisième problème, essentiellement traité par la recherche sur les sondages, consistait à établir les motivations profondes des opposants, et implicitement aussi de la population locale. Le flou de la thématique ensevelit ce projet de recherche dans l’épaisseur de son propre matériau. Finalement émergea la proposition de rechercher les motivations et causes psychologiques non pas dans les stratégies politiques et militaires, mais dans l’économie du comportement basé sur le rational choice, qui recommande l’usage de la carotte et du bâton dans le rapport coûts-bénéfices. Mais l’échec de cette dernière stratégie met à jour un dilemme de fond riche d’enseignements en terme de régulation: si la maîtrise de la complexité doit faire renoncer à de nombreux détails, la cécité volontaire peut tout autant être fatale.

Erschienen in: traverse 2009/3, S. 37