Editorial: Les chantiers transnationaux de la paix sociale

(Editorial: Sozialer Frieden – transnational)

Ce dossier a pour ambition d’éclairer la genèse du modèle social européen en s’attachant à dégager les mécanismes transnationaux qui ont précédé l’institutionnalisation des communautés européennes. Avant même l’adoption des premiers instruments internationaux en la matière (notamment l’adoption en 1961 de la Charte sociale européenne qui conditionnait l’adhésion aux organes communautaires au respect d’une gamme étendue de droits sociaux), l’Europe occidentale s’était en effet déjà dotée d’un ensemble de normes et pratiques sociales d’inspiration commune.

Les différentes études réunies dans ce dossier se focalisent sur la genèse de ce modèle européen garant de paix et de sécurité sociale, et tout particulièrement sur la période de l’entre-deux-guerres dont on sait qu’elle a donné naissance aux premiers projets d’unification européenne. Epoque fondatrice dans l’économie de la collaboration internationale, les années de l’après-première guerre mondiale voient en effet se développer, autour de la Société des Nations, une recomposition des réseaux issus de la nébuleuse réformatrice d’avant 1914, et un profond renouvellement de leurs activités grâce aux potentialités nouvelles créées par ces institutions intergouvernementales.

Se retisse ainsi autour de la SdN tout un entrelacs d’institutions et d’organisations dont l’ambition est de fonder de nouveaux régimes de gouvernance globale de la question sociale : les unes sont intergouvernementales (à l’image de l’Organisation Internationale du Travail et de son secrétariat permanent, le Bureau International du Travail) et visent à établir des normes internationales dans le domaine de la protection des travailleurs. Ce sont aussi des comités techniques propres à la SdN, dont le mandat consultatif fonde les nouvelles missions que l’institution entend assumer dans la reconfiguration des politiques sociales de son temps. D’autres enfin sont des organisations non gouvernementales, myriades de réseaux transnationaux ou transatlantiques qui gravitent autour des plateformes genevoises, et tout à la fois informent leurs bureaux grâce aux mandats d’experts qu’ils s’y taillent, collaborent à l’hybridation des expériences qui s’y réalisent, et contribuent à infuser dans les scènes nationales les constructions normatives qui s’y élaborent. C’est à une meilleure compréhension de ces mécanismes de connexions et de transferts qu’est consacré ce dossier, à travers l’étude d’une diversité de chantiers et de projets collectifs dont l’aspiration à fonder un régime inédit de paix sociale en Europe représente le socle commun: régulation du temps de travail, santé publique, politiques de la jeunesse ou encore alimentation des classes populaires sont quelques uns des thèmes qui alimentent les débats de ces réseaux et de ces organisations couplant arènes internationales et terrains nationaux

Erschienen in: traverse 2013/2, S. 21