L'europe dans l'antiquité: Mythe et toponyme

(Europa in der Antike : Mythos und Toponym)

La philologue Renate Müller s’interroge, à l’appui des plus anciens documents de l’antiquité grecque et romaine, sur l’origine de la notion «Europe» et sur les differentes significations de ce terme. Par le biais de cette thematique, l’auteure entend egalement mettre en lumiere differents aspects des debats actuels.
La litterature grecque ancienne exprime deux champs distincts de significations en ce qui conceme le mot «Europe»: on recense, d’une part, des figures mythiques de femmes portant ce nom et, d’autre part, diverses regions geographiques aux con tours incertains. En d’autres termes, il n’existe pas jusqu’ä aujourd’hui d’explication etymologique univoque de la notion «Europe». On peut en revanche affirmer que celle-ci n’est certainement pas d’origine grecque ou semitique. C’est Herodote le premier qui, au 5e siecle av. J.C, a employe le terme «Europe», aussi bien en tant que toponyme qu’en tant que nom propre. Dans ses Histoires relatant les conflits entre les Grecs (Hellenes) et les Perses (Barbares), il confere ä la notion une importance ideologique et politique majeure. L’Europe, avec au centre la ville d’Athenes, s’oppose à l’Asie, l’empire des Perses. Les Hellenes deviennent ainsi les gardiens du «Continent Europe» que le celebre historien grec erige en rempart contre la tyrannie perse.
La guerre du Peloponnese (431-404 av. J.C.) qui divise la Grece, met provisoirement à l’arriere-plan l’opposition entre l’Asie et l’Europe. Ce n’est que depuis la paix d’Antalkidas (387 av. J.C), qui attribue les villes grecques d’Asie Mineure ainsi que Chypre et Klazomenai au grand roi de Perse, que la polarisation gagne à nouveau de l’importance. Dans son Panegyrique, l’orateur Isocrate (436-338 av. J.C.) prône l’union de tous les Grecs contre les Perses en condamnant l’attribution injuste des villes d’Asie Mineure et des iles au grand roi. La puissance croissante de l’empire macedonien l’amene cependant à revoir son attitude: dans son ecrit Philippos (346 av. J.C), Isocrate preconise l’intervention du roi de Macedoine, qui dispose alors de la plus grande force armee en Europe, contre l’empire d’Asie. Il appelle en meme temps les peuples europeens – sous-entendu les Grecs – à soutenir Philippe de Macédoine.
Si avec Isocrate la notion «Europe» demeure encore etroitement liee ä la Grece, elle connait dans l’oeuvre de Theopompe (ne en 378 av. J.C.) une transformation: le roi de Macédoine est l’homme le plus puissant d’Europe, apte – s’il le veut – à etendre son autorité sur toute l’Europe.
A l’époque de l’empire romain, un nouvel aspect, déjà annonce par les Grecs, acquiert une importance majeure: la superiorite de l’Europe grâce à ses avantages climatiques et geographiques. Ainsi le geographe Strabon (ne en 64 av. J.C.) la decrit comme un continent varie et le plus apte ä produire le meilleur des citoyens et des formes d’Etat. En se referant aux changements climatiques et geographiques, il met en exergue le fait que l’Europe a produit des peuples dominateurs (Grecs, Macedoniens, Romains) et su creer les meilleures conditions pour une vie guerriere, paysanne et politique. L’idee d’une Europe superieure aux autres continents est encore plus distincte chez Manilius (1 s. ap. J.C). Le poete considere la Lybie comme un desert sterile, peuple uniquement par des serpents venimeux et des animaux sauvages; quant à l’Asie, il lui reconnait une certaine fertilite et un relatif bien-etre, mais sans plus. En revanche, il confere ä l’Europe tous les avantages: ses hommes en font d’elle le plus grand territoire, ses artistes et ses erudits la terre la plus feconde. II celebre la gloire d’Athenes, de Sparte, de Thebes, de Pella, de Thessalie, d’Ulyrie, de Thrace, de la Germanie, de la Gaule, de l’Hispanie et enfin de Rome qui domine tous les pays et qui a He son destin avec le ciel.
La division de l’empire romain au 4e s. ap. J.C. rend caduque toute Opposition precise entre l’«Asie» et l’«Europe». Cette Separation est aveugle aux frontières continentales admises jusqu’à cette epoque; la Grece, la Thrace et l’Illyrie anciens territoires «européens» sont maintenant rattaches à I’«Est». Un nouvel antagonisme se met en place entre «Occidens» et «Oriens».

Erschienen in: traverse 1994/3, S. 195