L'entreprise Ford, entre mythe et réalité. Etude comparative de la motorisation en europe et Amérique du Nord, jusqu'en 1939

(Ford- Legende und Wirklichkeit. Die Motorisierung des Strassenverkehrs in Europa und Übersee im Vergleich, bis 1939)

L’importance de la légende Ford dans l’explication de la motorisation en Amérique du Nord a été pendant longtemps surestimée. On a traditionnellement cherché les origines de la croissance spectaculaire du marché automobile (intérieur) dans les années 1920 et on la expliqué par la baisse des coûts de production. En réalité, le marché américain du véhicule neuf) était saturé à cette époque et des entreprises comme Ford, ne construisant qu’un seul modèle hautement standardisé, éprouvaient des difficultés à s’adapter à la diversification accrue de la demande. Dans les régions faiblement peuplées des Etats-Unis l’automobile devint, déjà avant la Première Guerre mondiale, un moyen de transport et de communication indispensable, en particulier pour le développement économique. Le réseau de chemin de fer achevé, l’automobile fut en quelque sorte le dernier maillon de la réalisation du vaste marché intérieur, un marché qui fera des Etats-Unis la première puissance économique mondiale. Sa taille permit aux constructeurs américains de fabriquer des voitures de classe moyenne en grandes séries et d’abaisser ainsi les prix. Bien qu’aux Etats-Unis le salaire d’un ouvrier de l’industrie automobile fût quatre fois plus élevé que celui de son homologue allemand, les entreprises américaines produisaient des véhicules deux fois moins chers, et cela grâce à la modernité des installations et aux moindres coûts des matériaux. Dans les autres segments du marché automobile (classe supérieure, motos, utilitaires), la suprématie américaine était moins frappante. Dans les pays européens industrialisés et disposant dun réseau ferroviaire dense, les gens percevaient l’automobile différemment. Considéré d’abord comme un jouet pour les riches, il était économiquement moins important et ses effets négatifs (pollution, frais sociaux, usure des routes) plus sensibles. De plus, la législation routière était plus restrictive et les taxes plus élevées. En conséquence, les entreprises européennes restèrent plus petites et la fabrication plutôt artisanale, spécialisée dans les voitures de sport et de luxe. Pendant l’entre-deux-guerres, l’automobile devint le moyen de transport privilégié des professions libérales, des hauts-fonctionnaires, des industriels et des commerçants. Quant à la classe moyenne, le faible niveau des salaires et la forte imposition du trafic automobile retardèrent sa motorisation. On préférait encore largement les petites cylindrées ou, comme en Allemagne, les motocyclettes. Ce pouvoir dachat plus faible est une des explications du rôle de pionnier que les constructeurs allemands jouèrent dans le développement du moteur Diesel. Il faudra attendre le boom économique des années 1950-1960 pour que l’Europe rattrape son retard. La libéralisation de l’économie mondiale et la fondation de la Communauté Européenne après la Seconde Guerre mondiale créèrent alors des conditions comparables à celles des Etats-Unis dans les années 1920.

(Traduction: Jonas Römer)

Erschienen in: traverse 1999/2, S. 125