Réflexions sur la déficit démocratique de l'union européenne

(Gedanken zum Demokratiedefizit der europäischen Union)

La contribution du politologue Alexandre Kreher et du juriste specialise en droit europeen Philippe Weber-Panariello esquisse l’ensemble des problemes qu’englobe actuellement la discussion autour de la democratie europeenne, et analyse dans le meme temps les modeles qui y apparaissent. Au point de depart se trouvent deux theses: premierement, l’Union europeenne (UE) est un pouvoir politique d’un genre nouveau. Au meme titre que les autres systemes politiques, eile a besoin d’une legitimation democratique. Deuxiemement, les modeles etatiques ou ceux d’organisations internationales traditionnelles ne peuvent lui etre appliques, etant donne que l’UE est une nouvelle construction «sui generis». La question principale est alors la suivante: pourquoi vouloir reprendre pour la Communaute europeenne un modele democratique qui a ete developpe en fonction de l’Etat liberal du XIXe siecle et qui est devenu, sous de nombreux aspects, une fiction.
Il est aujourd’hui impossible d’enoncer l’essence politique et la nature juridique de l’UE. Cette impossibilite provient en majeure partie de sa nouvelle structure. La tâche de l’UE concerne trois grands domaines d’activite, representes par trois piliers: les Communautes europeennes (CE), la politique etrangere et de securite commune (PESC), la Cooperation dans les domaines de la justice et des affaires inteneures (CDJAI). Les dispositions communes n’existant encore qu’ä l’etat d’ebauches, ce sont pour l’instant des reglementations specifiques ä chaque pilier qui determinent les prises de decision et leur mise en application. Par là, l’UE forme un Systeme difficile à apprehender, dont les niveaux de decision sont nombreux et dont les acteurs et les procedures sont heterogenes. Pour decrire ce Systeme complexe, la notion de «supranationale» s’est imposee. A l’aide de cette notion, ce sont avant tout les particularites suivantes qui sont mises en avant: a) Les procedures particulières lors des prises de decisions communes. C’est la Commission de dix-sept representants qui detient le monopole des initiatives, tandis que le Conseil des ministres approuve les decisions dans les procedures majoritaires. Le Parlement européen (PE) dispose, lui, d’un droit de codecision, alors que la Cour de justice europeenne (CJE) traite des arbitrages de conflits et de l’interpretation du droit communautaire. b) L’effet particulier de ces decisions. Dans de nombreux cas, le droit communautaire est immediatement applicable dans les pays membres et prime sur le droit national, c) Le domaine sans cesse croissant de ces applications et la maniere dont ces tâches sont partagees avec les Etats membres. La Communaute européenne dirige et coordonne, les Etats membres executent et appliquent. Ceci conduit ä une Separation entre «direction» et «monopole du pouvoir». La premiere ressort de plus en plus aux CE, le second, comme auparavant, depend des Etats membres.
La legitimation democratique de l’UE est fondee sur deux etats de faits. Le premier fondement est constitue par le consentement de tous les Etats membres lors de procedures democratiques au sujet des traites constitutifs et de leurs amendements ulterieurs (legitimation indirecte). Le second est represente par le Parlement européen elu directement (legitimation directe). Avec l’elargissement du cadre des competences, les voix demandant un renforcement de la legitimation democratique se font plus fortes. Du point de vue du contenu, ce sont les transmissions de competences à l’UE qui sont la cible des critiques, de meme que l’exercice de ces competences au niveau communautaire par des organes executifs. Du point de vue formel, la critique reproche une representation inegale des citoyens et citoyennes au Parlement et l’absence d’une procedura unitaire dans l’election du PE. Les discussions qui ont trait à cette question se rattachent au modele de la democratie representative, en d’autres termes à une vision de la democratie centree sur l’Etat. Elles s’appuient sur l’idee qu’il suffirait d’appliquer les procedures de legitimation pratiquees par les Etats membres au niveau de l’UE pour resoudre ainsi son deficit democratique. Cette facon de voir suppose un PE ayant une fonction legislative. Cependant, elle oublie totalement que meme au sein des Etats membres, il n’existe aujourd’hui plus de parlements qui «font» encore veritablement des lois. La oü les competences legislatives n’ont pas encore ete entierement deleguees aux gouvemements, le parlement national se limite, en regle generale, au rôle de representant des interets du peuple et d’organe de caution.
Il est interessant de voir ä quel point les partisans et les adversaires d’une integration accrae ne tiennent pas compte du fait qu’une union d’Etats, creee en vue d’atteindre des buts communs, est regie par d’autres regles et d’autres procedures que Celles qui se sont developpees dans le cadre de la tradition constitutionnelle europeenne. Sans critique prealable, les partisans de l’integration reclament l’introduction d’un Systeme «semblable ä l’Etat» (staatsähnlich) qui ne respecte pas les specificites communautaires. Ouant aux sceptiques, ils invoquent le fait que «l’Etat» est seul ä pouvoir realiser la democratie et qu’il represente dans le fond le seul mode de vie legitime d’un peuple, tant que l’UE ne dispose pas des memes «prerogatives» politiques. Toutefois, bien que la constitutionnalite democratique soit un element important de

Erschienen in: traverse 1994/3, S. 64