Le partage des sentiments comme pratique sociale. Lexemple de la correspondance dune bourgeoise libérale et cultivée

(Gemeinschaft der Gefühle. Praktiken sozialer Einbindung in den Briefen einer liberalen Bildungsbürgerin)

La correspondance régulière adressée à sa famille par la bourgeoise cultivée quetait la glaronnaise Emilie Paravicini- Blumer 1808 1885) non seulement exprimait ses souffrances par le biais dune foule de métaphores, mais conduisait aussi à rassembler ses proches en une communauté de sentiments, au coeur de laquelle la compassion circule à linfini. Toutefois, un frère et une soeur étaient exclus de cette communauté de sentiments, car ils nétaient pas en mesure de répondre aux attentes de genre liées au parcours de vie dune bourgeoise, ni dailleurs aux demandes dempathie pour le conjoint. On peut donc constater que les émotions intrinsèques à ce discours avaient aussi une fonction dexclusion et dinclusion. La correspondance dEmilie Paravicini- Blumer lui permit de sinscrire durant ses années de jeune mariée dans le foyer de son beau- père, mais également dans un espace daction élargi, où elle put relier son destin propre à un contexte européen, et donc sa posture émotionnelle individuelle à un ensemble collectif. Cest ainsi quelle se constitua comme une partie des mouvements libéraux et patriotiques, dans la mesure où ces derniers se rapprochaient dans un élan commun de la « liberté » en loccurrence conçue comme une catégorie morale. Une telle mise en avant émotionnelle de son propre devenir était une partie constitutive de la mouvance libérale. Celle- ci était dailleurs une manière de permettre aux femmes de sintégrer au débat politique, tandis que la voie institutionnelle dune participation à la chose publique leur restait fermée.

Erschienen in: traverse 2007/2, S. 47