Savoir-Faire helvétique pour la Russie soviétique. L'expérience des horlogers suisse en union soviétique 1937/38

(Helvetisches Know-how für Sowjetrussland. Das Experiment der Schweizer Uhrenarbeiter in der Sowjetunion 1937/38)

En 1937, des douzaines d’horlogers au chômage quittèrent le Jura et émigrèrent en Union soviétique. Le «commissariat du Peuple à l’industrie lourde» les avaient enrôles en vue de construire une industrie horlogère autonome en URSS. Des documents provenant des archives de Moscou nous fournissent des renseignements sur cette brève expérience ainsi que sur l’identité de ses promoteurs – l’horloger juif, Wolf Pruss, et l’ancien Chancelier de la Ville de Bienne, Otto Marti.
Wolf Pruss, originaire d’Ukraine, avait trouve refuge, en 1904, en Suisse et appris le métier d’horloger. Agissant dans l’esprit de la «Nouvelle politique économique» (NEP), il se rendit à Moscou, en 1925, et ouvrit un atelier d’apprentissage. Les efforts qu’il déploya, dans le cadre du premier plan quinquennal (1928-1932), afin d’acheter des instruments de précision en Suisse, échouèrent en raison du veto de la Chambre suisse de l’Horlogerie qui craignait une concurrence fâcheuse.
En Suisse, le député socialiste au Grand Conseil, Otto Marti, fonda une association de colonisation collective pendant la période de crise, en 1935, et envisagea une émigration collective vers l’Union soviétique de spécialistes au chômage. En 1936, une délégation soviétique se rendit en France, s’installa près de la frontière franco-suisse et passa des contrats avec l’association de colonisation collective fondée par Marti. Les dispositions légales prescrites par les autorités fédérales «en vue de retenir en Suisse les spécialistes chômeurs qui seraient susceptibles d’accepter des offres à l’étranger» arrivèrent trop tard.
Les 72 Suisses – femmes et enfants compris – partirent pour Kujbyšev et Penza, convaincus de pouvoir renouveler année après année leur contrat d’une durée limitée. Bien que ces Suisses – comme tous les autres spécialistes en Union soviétique – aient joui de privilèges, ils ne purent s’accommoder de la réalité soviétique. La terreur de l’année 1937 et la Xénophobie ambiante, qui voyait dans les spécialistes étrangers des espions ou des parasites, contribuèrent à faire échouer cette expérience.
Après avoir monté deux ateliers d’horlogerie dans les villes de province de Kujbyšev et Penza, puis formes des ouvriers russes, les horlogers suisses ne bénéficièrent pas d’un renouvellement de leur contrat. Déçus par cette expérience d’une année, ils retournèrent en Suisse et leurs rapports suscitèrent moult débats dans la presse. Certains horlogers échappèrent de justesse aux arrestations en Union soviétique – leurs positions en qualité de spécialistes détenteurs d’un passeport suisse ou la négligence du NKVD (précurseur du KGB) les sauva probablement. Le pionnier Wolf Pruss, en revanche, qui avec O. Marti, avait aide l’URSS à édifier une industrie horlogère autonome, fut arrêté, avant le retour des Suisses à Moscou, et fusillé.

Erschienen in: traverse 1995/3, S. 89