L’auteur presente sous un angle historique et comparatif les comportements d’adhesion et d’opposition ä l’integration europeenne. L’integration et l’opposition sont, aux yeux de Guzzi, des phenomenes transhistoriques qui apparaissent à diverses epoques et dans differentes regions. Analyses ici en prenant l’exemple de l’histoire du Sottoceneri entre 1790 et 1820 – plus particulierement sous la Republique Helvetique (1798-1803) – ils permettront d’etablir des paralleles avec la Situation suisse actuelle.
Une alternative fondamentale se pose aujourd’hui comme il y a deux cents ans: soit le maintien de petits territoires localement et historiquement enracines, soit leur integration dans un plus grand espace, unifie et centralise. Autrefois, le petit pays correspondait – et ceci n’est pas valable uniquement pour le Tessin – au canton, au district et avant tout ä la commune au benefice d’une large autonomie; le grand pays se referait pour sa part à l’Etat national, moderne et republicain issu de la Revolution francaise. De nos jours, cet antagonisme s’est deplace: il existe, dans une constellation comparable, des Etats nationaux face ä une Europe en construction. Dans cette Situation, les debats se transforment en un verkable combat culturel, oü partisans et adversaires de l’integration pensent et agissent selon des paradigmes fort differents. Cet article souhaiterait montrer ces diverses conceptions de l’espace et mettre en exergue les liens que celles-ci entretiennent avec des interets politiques et sociaux. Dejà sous la Republique Helvetique, un «Röstigraben» divise une Suisse romande (à laquelle il faut ajouter Bâle) ouverte aux idees nouvelles et le reste du pays plus conservateur. De telles differences se manifestent aussi entre la ville et la campagne, entre les elites politiques et de larges cercles de la population.
Au Tessin, durant la periode de l’Helvetique, la question qui divise les esprits se resume à l’alternative entre l’annexion à la Republique cisalpine ou le maintien dans le corps helvetique; par ailleurs, durant toute l’epoque napoleonienne, on assiste à un vif debat entre, d’une part, une majorite de la population tres conservatrice, presente principalement dans les communes campagnardes, et, d’autre part, les republicains (les cisalpins ou les patriotes favorables au regime helvétique) ainsi que les reformateurs moderes (aux tendances fédéralistes).
Ces groupes ne se distinguent pas seulement en regard de leurs visions specifiques de l’espace, mais aussi en raison d’interets economiques, sociaux et politiques specifiques. Les patriotes se recrutent parmi les commercants, les marchands, les intellectuels et les ecclésiastiques qui entrevoient, avec la libéralisation économique, de nouvelles possibilites de profit et un acces au pouvoir politique. Les fédéralistes ont leur centre à Lugano, ville prospere gräce au marche du betail en automne et au commerce le long de la route du Gothard. Ce bien-etre depend de la protection de la Confédération et cet etat des choses doit, selon eux, le demeurer. C’est pourquoi ces milieux sont en faveur du maintien des frontieres et veulent rester rattaches à une Suisse pourtant majoritairement protestante. Une Suisse peu centralisee garantit selon eux une plus forte autonomie du Tessin, eloigne de tout centre de pouvoir. Ces deux groupes ont une representation plus ou moins claire d’un espace homogene tant politiquement qu’economiquement.
En revanche, la population des communes campagnardes ne veut pas demordre de son autonomie locale (notamment dans le cadre d’une large «moral economy») et s’oppose au sacrifice de celle-ci. On retrouve ce phenomene, selon Guzzi, dans toutes les societes paysannes de l’Europe qui ont une vision de l’espace fragmente, structure de maniere polycentrique.
Ce sont surtout les secteurs modernes de l’economie, ä forte productivite, qui sont favorables à l’integration dans un grand espace homogeneise: autrefois les commercants, aujourd’hui les entrepreneurs qui proposent des Services de qualite et des produits issus de hautes technologies. L’histoire de la resistance à ce phenomene pendant l’Helvetique et la Mediation met en exergue les coüts, mais aussi les vainqueurs et les vaincus de ces processus d’integration. La confrontation de ces differentes situations historiques nous invite enfin ä formuler des considerations d’ordre plus general. II est particulierement important, de relever que, hier tout comme il y a deux cents ans, des situations economiques et sociales differentes impliquent diverses experiences et conceptions de l’espace. Des personnes issues de groupes sociaux distincts vivent en effet souvent dans des espaces differencies. Ces processus s’articulent, hier comme aujourd’hui, autour de considerations economiques, mais touchent les aspects les plus divers de la vie collective: de l’organisation sociale aux ideologies, de la culture aux idees religieuses.
Petit pays, grand espace : Intégration politique et résistance locale d'un point de vue historique
(Kleine Heimat, grosser Raum : Überlegungen zu politischer Integration und lokalem Widerstand aus historischer Sicht)Erschienen in: traverse 1994/3, S. 144