La Suisse humanitaire entre philantrophie et colonialisme: GUstave Moynier, l'Afrique et le CICR


L’humanité et la Suisse: un mythe. Pourtant de nombreuses personnes considèrent ces deux notions comme étant synonymes. Le lien étroit qui existe entre la Suisse et la Croix-Rouge en est l’une des raisons. Il est clairement établi que la Suisse tire avantage dans le monde entier de la bonne réputation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) une des institutions humanitaires les plus importantes dont le siège est à Genève. Une première étude des comptes annuels montre que la renommée de la Suisse est financée par des tiers. La présente contribution rappelle également que les fondateurs de la Croix-Rouge ne voyaient pas de contradiction entre philanthropie et colonialisme. Au contraire, ces deux phénomènes participaient dune même croyance chrétienne et bourgeoise du progrès et de la discipline sociale. L’expérience acquise par les fondateurs devint une loi universelle. Ainsi, Gustave Moynier, président fondateur du CICR, oeuvre d’abord comme réformateur social à Genève, puis comme militant propagandiste de l’aventure coloniale en Afrique équatoriale. Dans cette perspective, il se réfère à la Trinité bourgeoise de la Civilisation, du Commerce et du Colonialisme chrétien. Le colonialisme représente à ses yeux un acte philanthropique qui sapparente à la diffusion de la pensée de la Croix-Rouge. Son plan de neutralisation du bassin du Congo n’a cependant éveillé aucun écho favorable. Et Moynier doit bien admettre que l’expérience coloniale au Congo a débouché sur un désastre humanitaire sans précédent, annonçant une période de sauvagerie économique effroyable. Le président du CICR a refusé de confier ses impressions sur cette évolution. La Croix-Rouge se trouve néanmoins du côté des troupes coloniales. L’Universalisme de Moynier apparaît en fin de compte comme un projet européen enclavé dans des frontières trop étroites. 60 ans après la mort de Moynier, les responsables du CICR ont enfin admis que l’idée du respect de l’être humain et de l’aide désintéressée envers ceux qui souffrent fondements essentiels de la Croix-Rouge n’était pas exclusivement une vérité chrétienne, mais participait dun héritage culturel universel de l’humanité. Le fait que les principaux terrains daction du CICR se trouvent aujourdhui dans les anciens territoires coloniaux ne relève pas simplement d’une ironie de l’histoire. Des philanthropes ont préparé le terrain au colonialisme et les organisations humanitaires doivent lutter contre les effets de la barbarie coloniale.

(Traduction: Chantal Lafontant)

Erschienen in: traverse 1998/2, S. 95