Textes et Contextes des débats sur les abus 1890-1990

(Texte und Kontexte der Missbrauchsdebatte 1890/1990)

Les débats actuels sur les abus sexuels proposent une série d’arguments déjà évoques par Sigmund Freud dans le cadre notamment de discussions sur la médecine légale qui se déroulèrent, en 1885, à l’hôpital de la Salpetrière: les scientifiques échangeaient alors des idées sur le contenu véridique des abus incestueux, tentant de distinguer les deux pôles de la réalité et de la fantaisie. Si Freud considère encore dans sa «théorie du traumatisme» le détournement d’un enfant par un adulte comme une réalité lui permettant de poser les bases de son «étiologie de l’hystérie», le développement de ses réflexions théoriques et la découverte de la sexualité infantile l’amènent cependant à dépasser ce simple modèle de Stimulation et de réaction. Dans son oeuvre, il passe de la théorie de séduction, qui se déploie dans une réalité extérieure, à la réalité intérieure oedipienne animée par les fantaisies et les désirs. Cette rupture epistemologique lui permet d’établir des arguments qui s’opposent aux pôles vrai/faux, réalité/ fantaisie. Sur la base de cette nouvelle argumentation, il rejette la hiérarchie des valeurs, empruntée au positivisme, qui distinguait la réalité inhérente à la vérité et la fantaisie à laquelle on confère le Statut de Simulation. II trace ainsi une nouvelle voie hors du débat polarisant et culpabilisant, écartant par là même tout moralisme.
Les participants aux débats actuels, prisonniers de l’ancienne vision polarisante, considèrent la position freudienne comme une simple «trahison de l’enfant». On assiste à un nouvel essor des antagonismes coupable/innocent, homme/femme qui sont mis en étroite relation. Les débats sur les abus sont à la croise des rapports entre les genres; au tournant du siècle, ces rapports se développent dans le cadre de procès legitimant de nouvelles différences. De multiples témoignages montrent que les hommes du 19e siècle ont traite les jeunes filles comme des petites femmes et les femmes comme des petites fillettes. Ici et là, on voit surgir de nouvelles tentatives pour ancrer dans la société les différences entre les genres; l’admiration que soulève une femme comme Lolita, autrement dit l’image de la «femme-enfant» inexpérimentée, témoigne d’un mouvement de réaction contre l’émancipation des femmes. Par ailleurs, le contexte actuel des débats sur les abus incestueux et les rapports entre les genres pressentent des structures comparables. Certes, les signes et les symboles ont bien change; pourtant lorsque l’on examine l’art et la publicité, il devient aise d’établir des parallèles avec ces ancêtres culturels de la fantaisie sur l’inceste.

Erschienen in: traverse 1995/1, S. 32