La transformation des criminels en témoins de Dieu. A propos de la célébration chrétienne du pouvoir répressif étatique au début du 18e siècle

(Vom Malefikanten zum Zeugen Gottes. Zum christlichen Fest der staatlichen Strafgewalt im frühen 18. Jahrhundert)

Le thème de cet article est le rôle médiateur de la religion chrétienne pendant la monopolisation du pouvoir répressif utilisant la torture, un symbole central du pouvoir dominant et un élément important de la genèse de l’Etat moderne. Le sujet de cet article est la pédagogie du processus, la question de savoir par quels symboles, avec quels moyens et avec quelles aides le nouvel Etat s’impose à ses sujets à l’époque qui précède celle des «Lumières». Du milieu du 17e siècle à la fin du 18e siècle, la publication des prédications prononcées sur les échafauds, en présence d’un public nombreux, par des prédicateurs de toutes les confessions chrétiennes jouait souvent un grand rôle dans l’interprétation correcte des exécutions des condamnes. C’est alors que sont publies de nombreux récits écrits par des ecclésiastiques qui accompagnent les accuses lors du procès d’inquisition, du procès devant le tribunal et jusqu’à l’exécution capitale. Ils fournissent des descriptions qui sont à la fois réalistes et à peine imaginables de la transformation extraordinaire de criminels «pécheurs invétères, impies et malfaisants» en «pauvres pécheurs», qui conscients, convertis et heureux subissent l’exécution. II s’agit d’un phénomène qui est souvent cite dans les ouvrages spécialises, mais qui n’a pas été analysé.
C’est à partir de l’exemple concret du prédicateur luthérien Andreas Schmid qui entre 1716 et 1726 à Berlin, capitale de la Prusse et du Brandebourg, publia quatre épais volumes de textes de ce genre, que sont ici exposes et analyses, avec précision et de nombreuses citations, les dispositifs, les images, les stéréotypes et les mécanismes de ce pouvoir spirituel couronne de succès: en échange du salut de l’âme et de la vie éternelle au Paradis, les représentants de toutes les confessions atteignaient leurs objectifs pratiques et didactiques. Dans le cadre de spectacles publics extrêmement organises et structures par les autorités, les «pauvres pécheurs» jouaient les premiers rôles particulièrement impressionnants. Leur exécution dans des conditions édifiantes contribuent ainsi au renforcement des normes et à la célébration du règne du Prince et de Dieu. Leur salaire, c’est-à-dire la déduction directe de tortures subies sur la Terre des supplices fondamentalement mérites en Enfer, en d’autres termes le salut de leurs âmes, peut être interprété comme une resocialisation conforme à époque Non seulement la religion dispense les nouveaux souverains terrestres de droit divin de toute nécessite de resocialiser leur existence terrestre et légitime les impitoyables peines de mort au nom d’un Dieu coléreux, juste et bon, mais en même temps elle offre une resocialisation parfaite avec le retour édifiant de la brebis égarée dans la société humaine – l’Au-delà étant considéré comme une projection améliorée de celle-ci.
Tout cela est l’expression du «modèle pénal théocratique» tout à fait fonctionnel qui ne peut être compris que sur la base d’une reconnaissance du rôle spécifique de la religion dans la société où domine une perception des expériences sociales, naturelles et religieuses comme formant une seule et même réalité. Les criminels ne sont pas encore perçus comme des parasites sociaux mais comme des pauvres pécheurs qui troublent l’ordre divin. Grâce à l’exécution du pauvre pécheur repenti et «converti», un prince chrétien rétablit l’ordre divin, exauce le Seigneur et, d’une manière édifiante par l’intermédiaire des ecclésiastiques qui lui sont subordonnes, assure au criminel le salut de son âme. Finalement l’ensemble social des sujets se rapproche et conclut la paix avec le pécheur, le pouvoir et le Seigneur. La dévalorisation de la vie terrestre et l’orientation exclusive vers une vie éternelle dans l’Au-delà rendent possible un aspect violent de la formation de l’Etat moderne, qui soi-disant apporte une diminution de la violence, ce dont on peut douter face aux expériences du 20e siècle Le fait que néanmoins il n’existe pas dans notre pensée actuelle d’alternative à l’Etat moderne reflète un processus d’apprentissage couronne de succès, dans lequel les prédicateurs sur les échafauds avaient pendant une certaine phase joue un rôle important.

Erschienen in: traverse 1995/1, S. 83