Regard scientifique et regard touristique. Pour une histoire du «panorama» au XIXe siècle

(Wissenschaftlicher und touristischer Blick. Zur Geschichte der «Aussicht» im 19. Jahrhundert)

Durant le dernier tiers du XIXe siècle, de nombreux points de vue en Suisse furent équipés d’infrastructures ferroviaires et de tours panoramiques; les vues furent reproduites sur des cartes postales et des panoramas. Depuis lors, d’innombrables excursionnistes et touristes ont visité des sites comme l’Uetliberg, près de Zurich. Grâce à l’iconographie scientifique qui sous forme de visualisations géographiques se développa parallèlement aux activités touristique, il est possible de replacer les débuts de la contemplation du paysage dans son contexte historique. A cet effet, un parallèle peut être fait entre regards touristique et scientifique, car tous deux sont tributaires, selon des manières qui leur sont propres, de la production et de la reproduction d’images. En référence à John Urry, le « regard touristique » renvoie à l’essence même de la pratique touristiques, à savoir la reproduction d’images connues. Le concept de « regard scientifique » est quant à lui utilisé dans le sens de Barbara Maria Stafford afin de désigner un aspect central du processus cognitif des sciences naturelles modernes.
En prenant divers exemples tirés de sources, cette contribution montre que la manière dont les scientifiques contemplèrent les panoramas se modifie fondamentalement au cours du XIXe siècle. A la fin du XVIIIe siècle, un Salomon Schinz ne parvient pas encore à transcrire en catégories scientifiques la vue qui soffre à lui à partir de l’Uetliberg. Un siècle plus tard, le géologue Albert Heim porte sur le paysage un regard qui traduit cette fois-ci une démarche cognitive scientifique. L’arpentage cartographique et la dénomination du paysage suisse constituent deux conditions préalables importantes à la démarche de Heim. Soumises à des règles d’observation précises, elles lui permettent de réaliser des reproductions de panoramas, qui, à leur tour, facilitent la mise en valeur touristique des sites. En tant que phénomène historique, le tourisme peut donc être mis en relation avec le développement scientifique qui a remodelé l’image du monde au XIXe siècle.

(Traduction: Thomas Busset)

Erschienen in: traverse 1999/3, S. 83